Que faire si votre client "corporate" ou institutionnel vous demande d'engager un mannequin ?

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Que faire si votre client "corporate" ou institutionnel vous demande d'engager un mannequin ?

Que faire si votre client "corporate" ou institutionnel vous demande d'engager un mannequin ?

Parmi les questions qui se posent fréquemment aux photographes travaillant avec des clients « corporate » du secteur privé, voire avec des clients institutionnels, figure notamment la problématique des mannequins engagés pour les prises de vues. S’il est plus facile pour votre client de vous déléguer toute l’organisation de l’engagement et de la rémunération d’un mannequin, sachez que cela est totalement interdit, et potentiellement dangereux. Par Joëlle Verbrugge – Avocate pratiquant le droit de la photographie et Photographe
J’examinerai les aspects relatifs au statut du mannequin, mais aussi au droit à l’image de celui-ci. 

QUEL STATUT POUR UN MANNEQUIN ENGAGÉ POUR DES PRISES DE VUES ?


A - Que dit la loi ? 

1. Le Code du Travail

Le Code du Travail définit le « Mannequin » de la façon suivante : 

« Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n'est exercée qu'à titre occasionnel, toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image. »

Cela fait, il instaure en outre une présomption de contrat de travail : 

« Tout contrat par lequel une personne s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un mannequin est présumé être un contrat de travail. » (Art. L7123-3 du Code du travail) 

Le législateur a, en outre, ratissé très large à cet égard, puisqu’il prévoit également : 

« La présomption de l'existence d'un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties.

Elle n'est pas non plus détruite par la preuve que le mannequin conserve une entière liberté d'action pour l'exécution de son travail de présentation. » (Art. L7123-4 du Code du travail)

Pour toute commande de photos pour un client, qu’il s’agisse d’une entreprise privée ou d’une institution publique, le recours à une personne chargée de poser lors de prises de vues a donc incontestablement pour effet que cette personne doit être engagée dans les liens d’un contrat de travail, et sera qualifiée de « mannequin ». 

À défaut de contrat de travail, les risques de poursuite pour « travail dissimulé » sont réels. Pour rappel, le Code du travaille sanctionne le travail dissimulé d’une peine d’emprisonnement de 3 ans et d’une amende de 45.000 € (Art.L8224-1), les peines étant encore augmentées lorsqu'il s'agit d'un mineur (Art. L8424-2 du Code du Travail : amende jusqu'à 75.000 €)

2. Qui signe quoi et avec qui ?

Un tel contrat de travail doit être signé : 

  • Soit directement entre l’entreprise (ou l’institution) qui va utiliser les photos, et le mannequin lui-même, par exemple sous la forme CDD.
  • Soit par l’intermédiaire d’une agence de mannequins, qui se chargera d’établir les documents nécessaires (contrat de travail ET autorisation de droit à l’image correspondant aux besoins de votre client). 

B - Le photographe peut-il engager lui-même le mannequin ? 

1. Principe

En vertu de la loi, le placement d’un mannequin ne peut être réalisé que par une agence de mannequins, titulaire d’une licence d’agence de mannequins (Art. L7123-11 du Code du travail – Voir également, pour la définition, l’article L7123-12 du Code du travail). 

Or, le photographe n’est pas lui-même « agence de mannequins », et dès lors ne peut pas se livrer à cette activité en servant d’intermédiaire pour trouver, engager et rémunérer un mannequin dans le cadre de photos réalisées pour son client.  Des sanctions sont bien sûr prévues par la loi en cas d’exercice d’une activité d’agence sans licence adaptée (Art. L7123-26 du Code du travail) : emprisonnement de 6 mois et 75.000 € d’amende. La sanction est pour le moins dissuasive ! 

La seule alternative serait d’engager un mannequin établi à l’étranger (au sein de l’Union européenne), dans un pays où il/elle peut légalement exercer sous un statut indépendant. Mais même à ce niveau, la législation n’est pas simple car ce recours à des mannequins étrangers ne peut se faire que si le mannequin vient exercer en France « à titre temporaire », et cela implique des formalités complémentaires. 
Le fondement est à rechercher également dans le Code du travail : 

« La présomption de salariat prévue aux articles L. 7123-3 et L. 7123-4 ne s'applique pas aux mannequins reconnus comme prestataires de services établis dans un État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen où ils fournissent habituellement des services analogues et qui viennent exercer leur activité en France, par la voie de la prestation de services, à titre temporaire et indépendant. (Art. L7123-4-1 du Code du Travail) »

Pour être complète, je précise que la SEULE hypothèse dans laquelle le photographe peut signer lui-même un contrat de travail avec un mannequin est celle d’un travail personnel qu’il réaliserait, hors de toute commande pour un client. Ne tentez pas, par contre, de maquiller une commande sous le terme de travail personnel, avant de céder « par hasard » les droits à votre client qui s’avérerait soudain intéressé par les photos sur une thématique correspondant, toujours par hasard, au devis que vous lui aviez établi au préalable : les contrôleurs de l’URSSAF ne sont pas nés de la dernière pluie.

2. Quels sont les risques ?

Imaginez la situation suivante : 

  • Un office du tourisme des Alpes vous demande d’organiser une séance de prises de vue en moyenne montagne avec un mannequin. 
  • Vous faites appel à une de vos connaissances, sans faire établir de contrat de travail, et vous vous rendez sur les lieux choisis pour la séance de prises de vue. Il ne s’agit pas d’alpinisme, mais il y a pour rejoindre le spot choisi un peu de marche sur un terrain légèrement accidenté.
  • Avant, pendant ou après la séance, votre mannequin fait une chute plus ou moins grave, et n’est pas capable de marcher jusqu’à la voiture, de telle sorte qu’il faut appeler des secours. 
  • Après son arrivée à l’hôpital, lorsque sa carte Vitale lui sera demandée, le dossier mentionnera aussi les circonstances de l’accident : « Chute en montagne pendant séance photo ». 
  • Au moment de régler les frais médicaux, la CPAM (ou toute autre mutuelle/assurance privée) risque alors de vous demander où se trouve le contrat de travail signé, conformément au Code du travail.

… et c’est à ce moment que les ennuis commencent, pour votre client en tout cas, et pour vous, photographe, le cas échéant.

Cet exemple était inspiré d’un fait réel !

Reprenons ensuite le même exemple, et imaginez que, sur pression de votre client, vous ayez vous-même fait signer un contrat de travail au mannequin pour l’occasion, alors qu’il s’agit bien d’un travail de commande réalisé pour votre propre client. Dans ce cas, vous avez joué le rôle d’une agence de mannequins, sans disposer d’une licence vous autorisant une telle activité. 

3. Des « solutions alternatives » ?

Très logiquement, vous pourriez vouloir explorer d’autres pistes, par exemple faire appel à une agence d’intérim, ou au mécanisme de portage salarial, pour que le mannequin soit bien sous contrat de travail. Toutefois, cette « solution » n’en est pas une, à défaut précisément pour l’agence d’Interim OU la société de portage de disposer de la sacro-sainte licence d’agence de mannequins… Je vous accorde que la situation n’est pas simple, mais malheureusement le droit français est ainsi fait.

LE DROIT À L’IMAGE DU MANNEQUIN

En ce qui concerne le droit à l’image du mannequin, celui-ci doit être cédé par le mannequin soit dans le contrat de travail lui-même, soit éventuellement sur un document distinct, mais quelques règles doivent être gardés à l’esprit : 

  • Le principal utilisateur des photos que vous allez livrer est le client lui-même. C’est donc à son profit que le droit à l’image doit être cédé ! Et c’est, surtout, votre client qui répondra directement auprès du mannequin de toute utilisation frauduleuse de l’image du mannequin (au-delà de la durée convenue et/ou sur des supports ou territoires qui n’étaient pas autorisés). 
  • Si vous souhaitez également utiliser les photos pour votre propre communication, il est prudent (et vivement conseillé) de solliciter à votre tour une autorisation, cette fois à votre profit, et signée par le mannequin.
  • Comme toute autorisation de droit à l’image, elle n’est pleinement efficace que si sa durée est limitée dans le temps. À défaut il s’agirait d’un contrat à durée indéterminée, par nature résiliable à tout moment, ce qui placerait votre client dans une situation délicate et l’obligerait potentiellement à retirer toutes les utilisations des images dès que le mannequin résilie l’autorisation donnée. 
  • Comme pour tout contrat, son objet doit être bien défini : énumérez donc les supports sur lesquels l’image du mannequin peut être reproduite, et l’étendue géographique. Cette exigence n’est pas prévue par la loi (alors qu’elle l’est, par ailleurs, pour les cessions de droits d’auteur), mais elle est en pratique indispensable pour un minimum de sécurité juridique. 


Vous avez en outre, en tant que photographe, tout intérêt à ce que les documents soient signés directement entre le client et le mannequin, sauf si vous souhaitez courir le risque d’être vous-même poursuivi en justice lorsque votre client excède les limites de ce que la mannequin avait autorisé… Selon la renommée dudit mannequin et/ou l’étendue des utilisations non contractuellement autorisées, l’addition pourrait être très salée !


*     *     *


Soyez donc très prudents ! Expliquez toujours à vos clients qu’en cas de poursuites, ils risquent des amendes pour travail dissimulé si aucun contrat de travail n’est signé. De vôtre côté, j’ai expliqué pourquoi vous ne pouviez pas assumer le rôle d’une agence de mannequin.

Joëlle Verbrugge

Pour aller (beaucoup) plus loin sur la question, incluant cette fois les modèles d’Art soumis au même régime : « Le photographe et son modèle »