Cette question souvent présentée comme délicate a pourtant une réponse toute simple, qui se déduit des dispositions du Code de la propriété intellectuelle et d’une analyse calme et posée du Code de la sécurité sociale. Entre débats stériles sur Internet et volonté légitime des photographes et de leurs associations professionnelles de faire la clarté sur cette question, il faut bien avouer que la question donne souvent lieu à des échanges passionnés, voire enflammés. Par Joëlle Verbrugge – Avocate pratiquant le droit de la photographie et Photographe
Dans un premier temps, je rappellerai ce qu’est une « cession de droits » sur le plan juridique avant de détailler la réponse et les arguments qui viennent l’étayer.
I. Qu’est-ce qu’une « cession de droits » ? Quel est l’objet de la controverse ?
Il y a « cession de droits » au sens du Code de la propriété intellectuelle chaque fois que l’auteur d’une œuvre protégée par le droit d’auteur permet à un tiers de reproduire et d’utiliser cette œuvre.
Comme vous le savez, le photographe indépendant peut, essentiellement, exercer sous l’un des deux statuts suivants :
- Artiste-photographe (il dépend alors de l’AGESSA et de l’URSSAF du Limousin, quel que soit le lieu de son domicile)
o La seule forme d’exercice, dans ce cas, est celle d’une entreprise individuelle (Siret attaché à sa personne)
o Et il a le choix entre deux régimes fiscaux (micro-BNC ou régime de déclaration contrôlée)
- Artisan-photographe (il dépend alors de l’URSSAF du lieu de son activité, et de la Chambre de Métiers).
o Il peut exercer en entreprise individuelle (Siret attaché à sa personne), avec SOIT un régime fiscal simplifié (micro-entrepreneur) ou un régime de déclaration contrôlée
o Il peut aussi, c’est une alternative, créer une société (SAS, SASU, SARL, EURL) dont l’activité reste bien sûr artisanale, et qui dépendra, elle aussi, de l’URSSAF du lieu de son siège social ET de la Chambre de Métiers.
La raison pour laquelle je rappelle ces statuts et régimes fiscaux est la suivante : lorsqu’un artisan exerçant en entreprise individuelle cède des droits à une entreprise après avoir accepté une commande de photos « corporate », il lui est souvent affirmé sur Internet qu’il n’a pas le droit de facturer des cessions de droits et qu’il devrait adopter obligatoirement un statut parallèle d’auteur. Ou, à défaut d’avoir un statut parallèle, qu’il ne pourrait facturer que sa prestation de prise de vue, sans faire la moindre mention de la cession de droits ni des limites de celle-ci sur la facture. Curieusement, ces reproches ou critiques ne sont quasiment jamais formulés lorsque le photographe exerce en société artisanale, alors que l’opération juridique est pourtant totalement identique !
II. Que dit le Code de la propriété intellectuelle ?
A. Qui peut céder des droits ?
Le Code de la propriété intellectuelle rappelle tout d’abord que la qualité d’auteur d’une œuvre (on parle ici de l’auteur en tant que « titulaire des droits d’auteur », sans égard pour le statut administratif) est reconnue sans formalité, du seul fait de la création de l’œuvre (Art. L111-1 du CPI). Toute personne peut donc devenir auteur, quelle que soit sa situation personnelle (individu majeur ou mineur) ou professionnelle (amateur ou au contraire photographe indépendant).
Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que cette cession doit faire l’objet d’un écrit, et, surtout, qu’elle doit être limitée à un triple niveau (Art. L131-3 du Code de la propriété intellectuelle) :
- Quant aux supports sur lesquels l’œuvre pourra être reproduite
- Quant à l’étendue géographique de la cession
- Quant à la durée de la cession
Pour les photographes professionnels, une des hypothèses les plus fréquentes de ces cessions de droits se produit lorsqu’un photographe ou un vidéaste réalise des photos/vidéos pour une entreprise, une collectivité territoriale, une association, une ONG ou n’importe quel acteur de la vie économique qui va ensuite s’en servir pour sa propre communication.
Le Code de la propriété intellectuelle ne distingue absolument pas selon le statut de la personne qui concède cette cession. À tel point même qu’il est bien sûr, tout autant, possible de céder des droits si l’on n’a AUCUN statut (je pense par exemple aux auteurs d’œuvres littéraires qui ont signé des contrats d’édition avec des éditeurs ou d’une cession occasionnelle de droits sur une photo au profit d’une structure quelconque).
En d’autres termes : la condition (et l’UNIQUE condition !) pour céder des droits, c’est d’être le titulaire des droits d’auteur, c’est-à-dire d’avoir soi-même créé l’œuvre sur laquelle ces droits sont cédés. En effet, on ne peut pas céder des droits dont on n’est pas soi-même titulaire.
Point ! Rien de plus !
Ensuite, il faudra dans un second temps se pencher sur la formalisation (contractuelle, comptable, fiscale et sociale) de cette cession, et c’est à ce niveau (et à ce niveau UNIQUEMENT) que des différences seront faites selon le statut de la personne qui cède les droits de reproduction sur l’œuvre. Mais ceci est une autre question, je l’examinerai dans la suite de l’article.
B. Que disent les juges ?
Il existe de nombreuses procédures en contrefaçon dans lesquelles les demandeurs ne sont pas des artistes photographes mais bien des artisans, peu importe leur structure d’exercice (entreprise individuelle ou société). Et notamment lorsqu’ils ont eux-mêmes cédé des droits à un client qui, ensuite, a dépassé les limites de la cession.
Je n’ai JAMAIS vu le moindre jugement ou arrêt qui refuse de se prononcer sur le fond des demandes en contrefaçon au prétexte qu’un artisan ne pourrait prétendument pas céder des droits.
Les affaires de ce genre sont traitées de façon tout à fait classique, comme tout dossier de contrefaçon : le juge examine si le demandeur (artisan en entreprise individuelle ou artisan en société) est bien titulaire des droits d’auteur qu’il prétend avoir été violés, si la photographie en litige est bien « originale » comme l’exige la jurisprudence, si la contrefaçon est bien avérée et, enfin, quel montant peut être alloué au titre d’indemnisation de cette contrefaçon.
C. Quel argument oppose-t-on à cette analyse ?
Le principal argument que l’on me retourne lorsque je fournis ces explications est tiré du Code de la Sécurité sociale. Les articles L382-1 et suivants du Code de la sécurité sociale organisent le statut d’artiste.
Dans son premier paragraphe, l'article L382-1 de ce Code prévoit que les artistes auteurs (dont il énumère ensuite les catégories) « sont affiliés obligatoirement au régime de la sécurité sociale pour les assurances sociales » (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006073189/LEGISCTA000006172945/#LEGISCTA000006172945).
Cela signifie donc que SI un créateur d'oeuvres souhaite bénéficier de ce statut très particulier, créé au départ pour protéger les artistes (voir un bref historique sur cette page officielle : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Arts-plastiques/Actualites/Reforme-du-regime-de-protection-sociale-des-artistes-auteurs) il doit alors obligatoirement, lorsque ce statut lui est reconnu à sa demande, être affilié à la sécurité sociale des artistes. Nous sommes tous d'accord sur ce point.
Il faut toutefois ajouter à cette argumentation que l’on m’oppose les points suivants :
- OUI, les artistes exerçant sous un statut qui les rattache à l’AGESSA (et aujourd’hui à l’URSSAF du Limousin) doivent, en tant que tels, payer leurs charges sociales à cet organisme. Ceci n’est ni contesté, ni contestable.
MAIS CET ARTICLE NE DIT ABSOLUMENT PAS que les artistes-photographes seraient les seuls à pouvoir céder des droits ! Il se contente d’évoquer le fonctionnement de l’activité pour les professionnels qui, en connaissance de cause, ont opté pour un statut d’artiste, en précisant à quel organisme ils doivent être rattachés. Rien de plus, rien de moins.
- SI, par hypothèse, un artisan a également, en parallèle, un statut d’artiste (ce qui, en pratique, peut s’avérer très lourd sur le plan administratif), il ventilera bien sûr les charges en fonction de la nature des activités qu’il exerce (Article L171-2-1 du CSS). Chaque commande sera intégralement affectée à l’un ou l’autre de ses deux statuts (il n’est pas concevable, non plus, de facturer la prestation en tant qu’artisan et les droits d’auteur en tant qu’auteur, cela n’aurait pas de sens). Sa facturation au client se fait de façon globale, et les revenus seront à considérer en un seul « bloc » au moment de les déclarer à l’organisme chargé de percevoir les charges sociales en fonction du statut concerné. En d’autres termes, s’il a utilisé son statut d’artisan pour répondre à une commande de photos corporate, il déclarera les revenus qui en découlent dans le cadre de son statut d’artisan. Et inversement s’il a, au contraire, utilisé son statut d’artiste.
- Mais, si un tel double statut est possible et légal, il n’est absolument PAS obligatoire d’avoir un double statut pour pouvoir facturer des droits d’auteur lorsque vous êtes artisan photographe.
Il n’y a donc AUCUNE obligation d’avoir deux statuts en parallèle si vous êtes déjà artisan et que vous souhaitez céder des droits sur vos photographies. Votre statut d’artisan le permet de façon tout à fait légale. Vos charges sociales seront un peu plus élevées, à revenus égaux, que si vous étiez auteur, mais ceci sera compensé par une gestion administrative un peu moins lourde.
D. En conclusion
Synthétisons tout cela en quelques points :
- Quiconque est titulaire de droits d’auteur sur une œuvre, au sens du Code de la propriété intellectuelle, peut en céder à des tiers.
- Selon son statut (ou son absence de statut), la formalisation de cette cession se fera sous des formes différentes.
- SI le photographe a un statut d’artisan (hypothèse qui fait l’objet de cet article), il indiquera bien sûr sur sa facture le montant de la cession des droits, ainsi que les limites de cette cession. Il est toutefois vivement conseillé de prévoir aussi un contrat complet pour encadrer la commande des photos, mais dans tous les cas la facture reproduira utilement ces mentions.
- La valorisation de cette cession est bien entendu indispensable, et doit être proportionnelle à l’importance des droits cédés, comme l’exige le Code de la propriété intellectuelle.
- En pratique elle l’est d’autant plus que, en cas de contrefaçon (par votre client qui dépasse les limites de la cession ou par un tiers), vous devrez justifier des tarifs habituels pratiqués pour réclamer une indemnisation à hauteur des infractions commises. Or, si votre facture ne prévoit rien concernant cette cession de droits, il sera difficile de faire admettre à un magistrat ensuite qu’il doit, de son côté, indemniser l’utilisation illégale qui a été faite de vos photos.
- Le photographe exerçant sous un statut d’artisan qui a consenti cette cession et qui reçoit le paiement venant de son client paiera ensuite ses cotisations comme il en a l’habitude, à l’URSSAF de son propre siège d’activité, quelle que soit la forme de son entreprise.
- L’artisan, pour cette activité artisanale, n’a AUCUN LIEN avec l’AGESSA ou l’URSSAF du Limousin. Ses seuls interlocuteurs sont l’URSSAF « classique » de son lieu d’activité et la Chambre de Métiers, et ses charges sociales sont à payer de façon tout à fait classique.
J’espère avoir ainsi clarifié la situation.